- Premier League
- Mathieu Aoued
« Ce soir-là, des supporters du Liverpool Football Club lancent des bouteilles et des briques sur le bus de l’équipe de Manchester United. Ce soir-là, certains supporters du Liverpool Football Club brisent les vitres du bus de Manchester United. Ce soir-là, certains des joueurs de Manchester United sont blessés par des éclats de verre ». Sous la plume de David Peace, dans son ouvrage Rouge ou mort, on découvre la réalité d’un samedi pas comme les autres. Ce 25 septembre 1971, Liverpool et Manchester United se sont affrontés (2-2) et pour cette raison, ce n’était pas un samedi comme les autres. Plus de 40 ans après, comme un rituel inlassable et inclassable, les deux formations se retrouvent à Old Trafford. Les temps ont changé, les joueurs sont passés. Kevin Keegan n’enflamme plus Anfield, George Best n’est plus. De Bill Shankly, qui déclarait que «Le football n'est pas une question de vie ou de mort, c'est quelque chose de bien plus important que cela.», il ne reste qu’un souvenir et des valeurs qui tendent à se perdre. De Sir Alex Ferguson, il reste un héritage, cadeau empoisonné d’une époque faste. Dés lors, regarder le Derby of England, c’est sentir le poids du passé, c’est avoir conscience que ce qui se passe sur le pré n’est que la partie visible de l’iceberg. Aux quatre coins d’Anfield résonne encore les chants d’antan, au coeur d’Old Trafford vibre encore l’âme de Bobby Charlton.
Pour comprendre comment deux villes, distantes de 55 kilomètres, ont pu développer une rivalité aussi forte et ancrée dans l’imaginaire de chacun, il convient de se plonger dans le passé. Pour saisir l’engagement de Steven Gerrard lors de son dernier derby, il nous faut nous replonger plus dans 120 ans en arrière, au coeur de l’Angleterre victorienne. A cette époque, les deux cités sont en pleins développement. Bercées par la révolution industrielle, Manchester est considérée à l’époque comme l’une des villes les plus industrialisées au monde tandis que Liverpool est vue par Benjamin Disraeli, premier ministre britannique, comme la seconde ville de l’Empire. Dans ce contexte, la construction en 1894, par la ville de Manchester, d’un canal de navigation reliant directement la ville à la mer constitue l’acte fondateur de cette rivalité. En effet, ce canal permit aux Mancuniens de prendre le contrôle de la route commerciale, laissant au passage Liverpool orphelin des taxes sur les marchandises payées auparavant par Manchester. Cette période coïncide avec le début du déclin de la cité des Beatles et le début du ressentiment entre les deux villes. L’une se sentant laisée, l’autre développant un sentiment de supériorité envers sa voisine. Pour autant, la rivalité sportive qui jaillira de cette tension économique mettra du temps à se profiler. Il fallu laisser le temps au temps pour que se construise une rivalité forte, pour que la haine trouve un terrain d’expression propice à son déferlement.
Les années 1960 marquent le début de cette rivalité sportive qui est maintenant entrée dans la légende. L’arrivée du mythique entraineur des Reds, Bill Shankly, combinée à la montée du hooliganisme au Royaume de sa Majesté mettra le feu à une poudrière bien garnie par la rancoeur et l’envie d’être meilleur que son voisin. A partir de ce moment, Reds et Reds Devils seront irréconciliables. Mués par une haine sourde, les deux clubs se disputeront et se disputent toujours le titre de plus grand club d’Angleterre. Preuve de ce rideau de fer tiré entre les deux cités voisines, aucun joueur depuis Phil Chisnall en 1964 n’a rejoint l’ennemi dans le cadre d’un transfert direct. Ainsi, l’affrontement Manchester United - Liverpool est avant tout le fruit de l’Histoire, celle qui fait le monde, qui marque notre conscience à notre insu. Cette même Histoire qui fait que pour une raison lointaine, Anglais et Français ne cessent de se basher. Ainsi, de cette Histoire est née une multitude d’histoires toutes plus révélatrices les unes que les autres du climat qui entoure les deux rivaux. En guise d’exemple, nous pourrions aisément rappeler la fameuse phrase de Sir Alex Ferguson lors de sa prise de fonction à Manchester United. De la même manière, les phrases assassines de Gary Neville, les odieux chants des supporters des deux camps concernant les drames vécus par les deux clubs ou encore les récents déboires de Luis Suarez face à Evra, toutes ces histoires sont des illustrations parfaites d’un rivalité qui dure. Certes, Manchester United, ces dernières années tend à dominer le club de la Mersey, tant sur le plan sportif que sur le plan économique. Pour autant, on peut croire que cela n’affectera pas le feu des derbys. En effet, en se penchant sur l’histoire des deux clubs, on se rend compte que rare furent les moment où les deux entités pouvaient se vanter d’être au sommet de leur forme. Au contraire, la vraie interrogation quant à la poursuite de cette rivalité forte tient plus dans la capacité des joueurs à incarner le club et la ville. A présent que les Neville, Gerrard et autre Carragher ont rangé les crampons, les deux villes se cherchent des idoles capables de comprendre que l’honneur d’une ville se joue en ces instants de furie.