Claude Robin : « c’est en préparant la saison prochaine que l’on peut espérer un miracle »

Claude Robin : « c’est en préparant la saison prochaine que l’on peut espérer un miracle »
Claude Robin, nouvel entraîneur de l'ESTAC (Icon Sport)

Récemment intronisé entraîneur de Troyes suite au licenciement de Jean-Marc Furlan, Claude Robin a accepté de se livrer pour ruedufootball.

Le nouvel entraîneur de l’ESTAC vit sur un rythme très intense depuis sa nomination il y a presque trois semaines. Nommé le 8 décembre dernier, celui qui était alors directeur du centre de formation de Troyes s’est attelé à remobiliser ses troupes afin de décrocher la première victoire du club troyen cette saison. L’objectif était clair : empocher enfin trois points pour « ne pas rentrer dans le Guinness des records » comme il le dit. Au final, Troyes n’aura pas réussi son pari mais n’a pas perdu, empochant deux points grâce aux matches nuls face à Bastia (1-1) et Monaco (0-0). La trêve doit ainsi permettre à Claude Robin de préparer la deuxième partie de saison. Mais avant cela, il était nécessaire pour lui de couper et c’est dans ce but qu’il passe actuellement son temps libre avec sa famille. Nous l’avons donc rencontré dans ce contexte, de passage chez son frère, dans l’Ain. Sa récente intronisation, sa vision du poste d’entraîneur, son expérience de directeur du centre de formation... Claude Robin a répondu à toutes nos questions en toute simplicité et n’a éludé aucun sujet.


Son intronisation au poste d’entraîneur de Troyes

Claude, comment s’est déroulée votre nomination au poste d’entraîneur de l’ESTAC ?

D’une façon très simple. Jean-Marc (Furlan) a décidé d’arrêter en semaine après le match contre Toulouse qui s’est déroulé le mercredi soir (défaite 3-0 des Troyens). Auparavant, il avait déjà rencontré le président (Daniel Masoni), un arrangement avait été trouvé par la direction du club (pour que le contrat de l’entraîneur soit résilié) mais Jean-Marc ne l’avait pas accepté. Le président a donc décidé de le reconduire jusqu’à la fin de saison. Cependant, après le match contre le TFC, Jean-Marc a finalement accepté la proposition du président pour résilier son contrat. À ce moment-là, le poste était vacant et de nombreuses propositions sont arrivées au club. De mon côté, je suis allé voir le président de mon propre chef. Je ne voulais pas le faire au début, mais j’ai été poussé par mon entourage qui me conseillait de faire acte de candidature. C’est ce que j’ai finalement fait, en prenant mon courage à deux mains, en proposant un projet de club que j’avais déjà entamé lorsque j’étais au centre de formation (dont il était le directeur avant sa nomination au poste d’entraîneur), un projet de jeu bien sûr, et de formation. Le président a ensuite étudié ma candidature et, trois jours plus tard, a décidé de me confier l’équipe. C’était le bon moment pour moi de passer au « dernier étage », c’est-à-dire faire la liaison entre le monde de la formation et le monde professionnel.

Est-ce facile pour vous de passer d’homme de l’ombre au statut d’entraîneur principal, en première ligne ?

On ne peut pas dire que c’est facile. Ceci dit, j’ai déjà eu une petite expérience il y a sept ans en prenant en main l’équipe réserve pour cinq matches. Après, je dirais que le privilège de l’âge (Claude Robin a 56 ans) fait que ça n’est pas difficile pour moi.


Sa vision du métier d’entraîneur

Comptez-vous faire dans la continuité du travail de Jean-Marc Furlan ou imposer, développer une autre idée de jeu ?

Déjà, lorsque Jean-Marc est arrivé au club (en 2010), il a développé un projet de jeu qu’il a expliqué à tous les éducateurs du centre et nous avons ensuite construit là-dessus un projet de club, de formation. Nous nous sommes donc appuyés sur ce projet de jeu pour que l’ensemble du centre de formation y adhère et nous allons bien entendu continuer dans cette direction puisque cette philosophie de jeu nous semblait bien et nous semble toujours bien. Après, bien sûr que chaque entraîneur a sa propre personnalité et amène des choses nouvelles.

Vous allez donc continuer à prôner un jeu résolument tourné vers l’offensive ?

Je dirais que nous allons essayer de développer du jeu, ce que faisait déjà Jean-Marc, et d’être plus efficace que jusqu’à présent. Parce que malgré tout, même si Troyes reste attractif dans le jeu, il est très inefficace dans les deux surfaces de réparation.

Quels sont vos principes de jeu ?

J’ai des principes de jeu collectif, notamment autour de la liaison entre les défenseurs et les milieux. Après, je suis assez flexible en ce qui concerne le reste. Il est évident que j’ai aussi un système de jeu préférentiel, même s’il arrive que l’on s’adapte à l’équipe adverse. Cela reste différent de la formation, où on essaye d’être plus flexible sur les systèmes pour que les joueurs aient tous les ingrédients nécessaires pour s’adapter à l’équipe première, que ce soit à Troyes ou ailleurs. En professionnel, on finalise, on s’adapte à l’adversaire ou à ce qui n’a pas fonctionné lors du match précédent et que l’on veut corriger. Cependant, je n’ai pas de grands principes « extraordinaires ». J’étais bien dans la philosophie de jeu que partageait Jean-Marc.

Quelles sont vos méthodes de travail ?

J’ai pour habitude d’amener et de définir un cadre avec des règles collectives. Pour cela, je suis intransigeant. À l’intérieur de ce cadre, une fois que je l’ai bien défini, ce sont ensuite les joueurs qui s’expriment. Mais il est vrai que j’ai pour habitude de bien mettre en place des règles de vie collectives qui sont, pour moi, essentielles à la vie d’une équipe.


« Entraîner, ce n’est jamais une corvée, c’est toujours un plaisir »


Comment se passe, pour vous, une journée « type » d’entraîneur ?

En général, j’arrive entre 7h30 et 7h45 au stade car j’aime bien arriver tôt. Normalement, la séance du jour est préparée la veille donc lorsque j’arrive, je vais voir le docteur du club pour faire un point avant que les joueurs arrivent, entre 9h et 9h30. Je règle avec lui les derniers problèmes liés aux présences. Cela est normalement établit la veille mais il y a toujours des joueurs qui peuvent tomber malade pendant la nuit et ils ont donc pour obligation (c’est une des fameuses règles de vie imposées) d’appeler le docteur avant 8h30 pour l’avertir. Dans ce cas-là, nous prenons acte et ils ont alors l’autorisation de ne pas venir s’entraîner. En revanche, ils doivent venir voir le docteur. Je prends ensuite le temps de fignoler les derniers détails de la séance, je lis un petit peu les journaux et j’attends le début de l’entraînement qui commence à 10h et se termine entre 11h30 et 12h. Le mardi, lorsque l’on double la séance, toute l’équipe mange ensemble au stade. On fait cela au moins une fois par semaine, voire deux fois. Les joueurs partent ensuite chez eux pour faire la sieste tandis que moi, je reste au stade et je prépare la séance de l’après-midi. S’il n’y a pas d’entraînement l’après-midi, je regarde les matches de l’adversaire en vidéos, dont le match précédent, donc j’y passe beaucoup de temps. C’est très lourd, le travail vidéo. En général, je commence à analyser l’équipe adverse en début de semaine, avec la personne qui s’occupe de la vidéo. Pour l’analyse des matches, je me concerte avec mes adjoints pour savoir qui regarde quelle rencontre même s’il nous arrive de regarder les mêmes matches. Le mercredi, nous réalisons un montage d’environ 10 minutes que nous montrons aux joueurs le vendredi. Mes journées sont aussi beaucoup rythmées par les rendez-vous avec la presse, qui ont lieu après les entraînements ou en fin d’après-midi, et qui sont fixés par le responsable de la communication du club. Lorsqu’il n’y a pas d’entraînement l’après-midi, je remonte au centre où j’ai encore mon bureau. Généralement, je finis mes journées vers 19h30 ou 20h.

Vous menez donc une vie bien rythmée ?

Oui, ce sont des moments intenses mais pas plus que quelqu’un qui fait huit heures de travail par jour. Après, tout dépend de la conception que l’on a de son métier. Nous ne sommes pas non plus à plaindre car nous faisons ce que nous aimons. Ce n’est pas une corvée, c’est toujours un plaisir.

Qu’est-ce qui vous plaît dans le métier d’entraîneur ?

C’est de retrouver l’adrénaline de la compétition, du haut niveau car quand on a été joueur, cela nous manque toujours un peu, au même titre que les sensations d’avant-matches, les entraînements. Ce qui me plaît, c’est entraîner donc être sur le terrain, driver les séances. J’aime aussi la préparation des séances, c’est ça que j’aime dans le milieu. Après, ce qui est un peu lourd parfois, c’est toute cette médiatisation autour de l’entraîneur et de l’équipe. Cela est vite grisant et il faut très vite faire attention. Mais bon, je pense que l’on s’y fait très vite.

Comment se comportent les journalistes en conférence de presse à votre égard ?

Les journalistes font leur métier mais il est vrai qu’ils sont sans cesse à la recherche du scoop. Pour moi, un journaliste doit toujours avoir une part de chauvinisme, en tout cas dans la presse locale car je ne connais pas les missions des journalistes des journaux plus importants. Il a tout à y gagner. Encore une fois, ce n’est que mon avis. Bien entendu, il relate ce qu’il a vu du match, ce qui fait aussi partie de son métier même si ce n’est pas son métier. Pour l’instant, ils ne sont pas énervants avec moi, mais c’est peut-être parce que je suis nouveau (rires). On verra avec le temps.


Son expérience de directeur du centre de formation de l’ESTAC

Un directeur du centre de formation doit-il forcément partager les mêmes idées de jeu que l’entraîneur principal ?

Non pas forcément. L’important, c’est qu’ils suivent la même ligne directrice qui a été dessinée et le même projet club. Après, cela ne les empêche pas d’amener leur patte, leurs qualités qui sont complémentaires. Ce qui est vraiment important, c’est qu’ils partagent la même idée de jeu pour l’équipe première, c’est une condition sine qua non.

Quel est l’objectif prioritaire d’un centre de formation ?

L’objectif est de donner le plus d’armes aux jeunes joueurs pour qu’ils puissent après aborder leur carrière de joueur professionnel en ayant auparavant balayé l’ensemble des capacités requises pour percer au haut niveau. Cela est un passage important. Malgré tout, sur une promotion de quinze joueurs, à Troyes, un seul passe. C’est un milieu très sélectif et très difficile d’accès, surtout quand on sait qu’il est plus difficile de devenir joueur professionnel que médecin spécialisé. C’est tout dire. Il ne faut pas oublier qu’en tant que directeur du centre de formation, les parents nous confient des jeunes joueurs, aux alentours de 15 ans, qu’il ne faut pas rendre illettrés à 18 ans. Ce qui m’importe, c’est qu’ils aient un bagage intellectuel, donc qu’ils suivent une scolarité normale pour ceux qui le peuvent. C’est-à-dire que lorsqu’on les rend à leurs parents, ils doivent avoir leur baccalauréat, c’est important pour nous. Au moins, les parents sont rassurés et les enfants ne sont pas déscolarisés. On pense toujours au joueur qui a réussi dans une promotion mais jamais à ceux qui ont échoué. Pourtant, ce sont ces derniers qui « font » le football amateur du reste du pays. D’ailleurs, nous avons parfois de très bonnes surprises quand des joueurs se révèlent au niveau inférieur, parce qu’ils accompagnent la progression de leur club. Par exemple, un joueur va réintégrer un club de CFA après être passé par un centre de formation et ce club va évoluer, donc le joueur en question va aussi progresser. Beaucoup de joueurs sont repérés de cette manière.  


« On tient beaucoup les joueurs en menant un triple projet : scolaire, social et sportif »


Du coup, vous ne vous occupiez pas uniquement du terrain, mais aussi de la scolarité des jeunes ?

Oui. J’avais avec moi quelqu’un qui s’occupe de la pédagogie, des études. On tient beaucoup les joueurs en menant un triple projet : scolaire, social et sportif. Tant que le jeune est dans ces trois projets, ça se passe toujours bien. Dès qu’il en oublie un, il est repris. Ceci est très important car lorsqu’il s’éloigne du projet social ou scolaire, il est sanctionné sportivement. C’est ce qu’on essaye de mettre en place, pour que les jeunes aient suffisamment d’armes pour réussir dans la vie. Car, encore une fois, même s’ils veulent tous réussir, seul l’un d’eux va percer dans le monde professionnel. Ce n’est donc pas simple. En tant que directeur du centre de formation, c’était ça le plus important pour moi.

Parmi les jeunes que vous avez contribué à former, quels sont ceux dont vous êtes particulièrement fier ?

Tous les joueurs qui sont sortis du centre me rendent fier. Cette fierté, elle est partagée par l’ensemble de mon équipe éducative parce que l’on a jamais eu de joueur formé seul, ce n’est pas possible. C’est l’ensemble des expériences qu’il a eues avec les différents éducateurs du club qui fait qu’il s’épanouit ou pas. C’est le joueur qui s’exprime avant tout, nous on le guide, on l’accompagne mais c’est lui qui fait la différence car il a bien compris les choses, il est attentif, concentré et parce qu’il a surtout une grosse motivation.


La saison de l’ESTAC, son futur au club, sa vision de la Ligue 1

Quels sont les motifs de satisfaction de votre première partie de saison ?

Le fait de finir l’année sur trois matches nuls encourageants. Il est vrai que l’équipe a mal débuté la saison mais mis à part deux ou trois fois, elle a eu beaucoup de malchance et cela a perduré. Sur les deux derniers matches notamment, nous n’avons pas été aidés mais c’est le lot des équipes mal classées, c’est un peu toujours comme cela. Je dois dire que j’ai regardé beaucoup de matches de Troyes et, franchement, ils se sont joués à des détails. Encore une fois, c’est certainement cette différence qui fait qu’on en est là actuellement et peut-être qu’on aurait dû plus la travailler mais j’espère que la roue va tourner. En tout cas, l’objectif pour cette deuxième partie de saison sera de préparer la prochaine, avec un groupe prêt, peut-être rajeuni, capable d’affronter l’échelon inférieur l’année prochaine. Et pourquoi pas, car en football le miracle existe toujours, réaliser une excellente deuxième partie de championnat pour espérer qu’un miracle se produise. Il ne faut pas rêver non plus mais c’est en tout cas en préparant la saison prochaine que l’on peut espérer un miracle. Ce n’est pas en faisant du maintien une priorité absolue que cela fonctionnera. Il faut d’abord que l’on dégraisse notre effectif parce qu’il est trop conséquent et nous avons beaucoup de joueurs du même profil, il nous faut plus de diversité. La priorité est donc de reconstruire des bases solides pour nous permettre de mieux aborder la saison prochaine.

Les joueurs sont-ils encore convaincus qu’ils peuvent encore se maintenir ?

C’est possible, car un joueur reste avant tout un compétiteur et je pense que j’ai des compétiteurs dans la majorité. Maintenant, ils ont une telle chape de plomb au-dessus d’eux au niveau des résultats que cela affecte leur confiance, et forcément ce ne sont plus les mêmes joueurs. Mais je suis persuadé qu’en ayant un peu plus de confiance, ils peuvent retrouver leurs vertus, leur jeu individuellement et collectivement. Mais il est évident que ce ne sera pas simple.


« Pour moi, la Ligue 1 n’est pas un championnat faible »


Souhaitez-vous vous inscrire dans un projet à long terme à l’ESTAC, ou êtes-vous plutôt un pompier de service ?

Je me suis toujours inscrit dans la durée partout où je suis passé, il n’y a donc pas de raison que cela change. Effectivement, j’aimerais bien essayer de faire un bout de chemin avec cette équipe. Après, ce sera à la direction de trancher et de décider. Toujours est-il que j’ai six mois devant moi pour faire évoluer la situation du club et reconstruire quelque chose.

Dernière question, faîtes-vous partie de ceux qui critiquent la Ligue 1 pour la frilosité de ses entraîneurs, la stérilité du jeu produit, la faiblesse des effectifs, le manque de soutien populaire etc. ?

Je viens seulement de rentrer dans le circuit mais je ne partage pas forcément cet avis. Il n’y a pas beaucoup de monde au stade, par rapport aux autres grands championnats que sont la Premier League, la Bundesliga et même en Espagne et en Italie, mais parce que chez eux c’est ancré, le football est comme une religion. Chez nous, cela n’est pas encore le cas, le football n’est pas encore rentré dans les mœurs. Mais cela a toujours été le cas en France. Après, je ne partage pas non plus l’idée que notre football national est si faible que cela, je ne pense pas. Nous avons surtout un championnat qui est très tactique, dans lequel les équipes sont bien préparées, mais il est vrai qu’il est peut-être un peu fermé. Pour moi, la Ligue 1 n’est pas un championnat faible.

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