- Interview
- Aurelien Renault
A 26 ans, Cécilia Berder fait partie des sabreuses sélectionnées pour les Jeux Olympiques de Rio qui se tiendront du 5 au 21 août prochains. Forte de ses bons résultats récents, la Quimpéroise aura pour ambition de porter haut les couleurs françaises un mois après l’euphorie liée à l’Euro 2016. Journaliste à ses heures et grande fan de football, elle nous a confié quelle était sa vision de l’Euro français, de la pression qui s’exerce sur les épaules d’un sportif et des points communs qui peuvent exister entre le football et l’escrime. Une interview pleine de vérité avec une sportive qui garde les pieds sur terre mais qui n’a cependant pas peur de rêver.
E16F : Cécilia, comment vivre au mieux l’Euro 2016 dans la mesure où toi, en juin, tu te prépares pour les Jeux Olympiques ?
Cécilia Berder : Oui on va devoir se préparer en même temps, on fera pas mal de stages en province. On en a d’ailleurs un en Bretagne qui a failli être annulé parce qu’on était dans le même centre d’entrainement que l’équipe du Pays de Galles (ndlr : à Dinard). Finalement, ça se fait quand même. J’aurais été frustrée de ne pas aller en Bretagne (ndlr : Cécilia est native de Quimper). Malgré ce mois chargé, je regarderai tous les matchs je pense tout en continuant à m’entrainer. Je suivrai quoi qu’il en soit avec beaucoup d’attention les matchs de la France parce que j’adore ce qu’ils font.
E16F : Et malgré ton planning chargé, est-ce que tu comptes aller voir les Bleus à l’Euro dans les stades ou pas ?
C.B. : Ca va être les 30 ans de mon frère et c’est un passionné de foot comme personne. Il rêvait d’aller à l’Euro 2016 et il soufflera ses bougies en juin. Du coup, je lui ai pris un billet pour le match d’ouverture contre la Roumanie (ndlr: vendredi, 21h). Et évidemment, je me suis pris une place pour l’accompagner. Et que dire sinon que c’est un budget d’aller voir l’Euro (rires). C’est dommage car ça reste du sport mais nous on s’est dit « Ce sera historique, allez on y va ! » et c’est quand même 600 euros la place. Mais on se fait un très gros plaisir là. Ce sera l’occasion de se dire plus tard quand on sera vieux « On y était ! ».
E16F : L’Euro 2016 pour toi, le fait que ce soit en France avant le déroulement des Jeux Olympiques, est-ce que tu trouves que c’est positif pour la visibilité des athlètes tricolores ou que ça peut représenter un frein ?
C.B. : Un frein ? Pas du tout ! Ce sont des sports différents, des événements tellement différents et grands à la fois. Je ne suis pas du tout ni jalouse ni frustrée parce que je me dis aussi que le sport français dans son ensemble va être mis en avant. C’est une grande fierté, je suis vraiment très contente que ça se déroule en France. Et si on parle moins de nous, ce n’est pas grave, au moins on peut se préparer tranquillement. C’est vraiment du pur bonheur de voir ça se dérouler en France, de voir qu’il y aura une certaine effervescence, que les gens vont sortir, qu’ils vont aller soutenir une équipe, qu’ils vont aller dans les rues pour faire la fête, c’est juste du pur bonheur. C’est aussi simple que ça dans mon esprit.
E16F : Donc pour toi, les retombées, qu’elles soient sociales ou économiques, elles seront positives pour un sport comme l’escrime et pourront fédérer un engouement non pas pour le football seul mais pour le sport en général ?
C.B. : Oui voilà. C’est ce que je disais, les gens vont vouloir se rassembler et fêter ensemble, aller partager des moments, suivre leurs équipes. Que ce soit pour du foot, de l’escrime, du curling ou n’importe quel sport, à partir du moment où les Français sont fiers de leur équipe, moi je suis complètement enthousiaste. Si c’est positif pour le foot, alors ce sera génial. J’espère vraiment que les Bleus vont être forts, qu’ils vont être à la hauteur même si j’imagine toute la pression qu’ils auront sur les épaules, et j’espère qu’ils vont se régaler. Si c’est le cas, ils nous feront plaisir. Je suis impatiente d’aller partager des verres et des grands moments devant des matchs de foot.
E16F : Te concernant toi l’escrimeuse, lorsque la France n’arrêtait pas de parler de la liste des 23 le mois dernier, tu étais en Chine et tu as décroché une magnifique victoire...
C.B. : C’était l’avant-dernière compétition sélective pour les JO et on gagne la compétition par équipe. Et évidemment, c’est toujours très intéressant de gagner, ça faisait un moment qu’on ne s’était pas imposées en Coupe du monde donc c’était un très très bon séjour chinois qui vient confirmer une période où j’ai pas mal travaillé. Ce n’est jamais évident mais de me dire que je travaille dans le bon sens, c’est quand même très agréable. Concernant l’annonce de la sélection des Bleus, je l’ai regardée quand même et comme pas mal de gens, j’avais fait ma propre sélection. J’ai pleinement conscience que de l’extérieur, c’est impossible de dire si c’est une bonne sélection ou non. On ne connaît pas les relations qu’il y a entre les joueurs. Je fais en tout cas pleinement confiance à notre ami Didier Deschamps, il sait gérer une équipe donc je suis contente de voir tous ces jeunes qui vont être là.
E16F : Ce qu’on sait un peu moins c’est que l’escrime est un grand sport d’équipe malgré tout et tu sais sûrement plus que personne l’importance que peut avoir la relation d’un groupe...
C.B. : Exactement. C’est pour ça qu’il y a peut-être des joueurs qui sont vraiment très forts et qui n’ont pas été pris mais ce côté relationnel reste quelque chose qui n’est pas palpable. Ca n’a rien à voir avec un passement de jambes ou un centre bien dosé. C’est quelque chose d’interne et de fondamental. C’est bien plus important qu’une certaine accélération de jeu ou quoi que ce soit, c’est la vie au quotidien. Ils vont vivre un mois collés-serrés et ils ont plutôt intérêt à bien s’entendre. On ne demande pas qu’ils soient les meilleurs amis du monde mais on demande qu’ils soient prêts à mourir pour le copain d’à côté. Il ne faut pas qu’il y ait de rancœur ou de jalousie. On ne leur demande pas d’être amis mais de se respecter et d’être ensemble et ça c’est insaisissable. On n’a pas notre mot à dire parce qu’on ne connaît pas les relations entre les joueurs. Mais c’est magnifique de se dire qu’on peut mourir pour le joueur à côté, ça a une valeur inestimable d’être capable de donner sa vie, c’est incroyable. D’ailleurs, je pense que c’est pour ça qu’il y a plein de joueurs très forts qui en vont pas disputer l’Euro. Des fois, il faut être un peu courageux et prendre quelqu’un peut-être un peu moins bon mais qui sera capable d’amener toute sa bonne humeur, sa bienveillance et sa joie de vivre au sein du collectif.
E16F : Et en escrime, tu vis ça comment quand tu te retrouves au sein d’une équipe ? C’est un peu le même système ou pas du tout ?
C.B. : En escrime malgré tout on reste évidemment seul. On n’aura jamais de passe à faire à un copain. Je suis toute seule sur la piste mais je vous assure que quand je me retourne et que je croise le regard de mes coéquipières, de mes copines qui sont derrière, j’ai besoin de savoir qu’elles sont avec moi et qu’elles comptent sur moi. Elles savent que je compte sur elle et c’est unique. Tous les gestes, tous les regards, toutes les attentions, tous les mots, quand on se passe le relais.... J’ai besoin de sentir de la bienveillance, du partage, de la sincérité, du respect... C’est une relation unique car ces personnes-là, je les ai prises dans mes bras comme j’ai rarement pris des gens dans mes bras alors que je ne partirais pas forcément en vacances avec elles. C’est juste qu’on a un projet commun et on a envie d’aller au même endroit. On sait qu’on a besoin de s’appuyer sur sa copine à côté pour y aller donc c’est unique comme relations. On a besoin d’avancer ensemble même si on est différentes. J’ai mon caractère, tu as ton caractère mais j’ai besoin de toi et tu as besoin de moi donc on va se tirer ensemble vers le haut et c’est génial. C’est pour ça qu’on a besoin de ressentir tout ça. C’est une forme d’amour. Ce n’est pas l’amour que je peux avoir pour mes frères ou mes amis et mes parents mais c’est une forme d’amour indescriptible.
E16F : L’équipe de France de football aura une certaine pression dans la mesure où la compétition se déroule en France. La pression justement, parlons-en. Toi, au niveau des JO à venir, vous devez rattraper l’échec de 2012. Est-ce que ce genre de pression peut s’avérer positive dès lors qu’on est vraiment très attendu ou alors est-ce que c’est quelque chose qui est difficile à vivre pour un groupe ?
C.B. : C’est clair qu’on sent quelque chose de différent dans la mesure où pas mal de gens nous en parlent et nous répètent « Faut vous rattraper, faut vous rattraper ! » mais je ne suis vraiment pas du tout dans cette optique-là. 2012 c’est une page de notre histoire, c’est comme quand on écrit un beau livre. Il y a le chapitre 2012 mais il a été écrit donc on n’a aucune envie de le supprimer. On s’est construit avec ça et les gens nous attendent évidemment pour les prochains chapitres. Je ne suis pas trop dans cette démarche-là, j’ai envie d’écrire un chapitre sympa, de travailler, d’être concentrée sur ce que j’ai à faire et ne pas me rajouter quelque chose parce qu’on a raté 2012. Tout est plutôt nouveau pour 2016. Il n’y a aucune amertume par rapport au passé. Ce n’est pas une envie de revanche. On a un nouveau collectif, un nouvel entraîneur, c’est stressant et passionnant à la fois parce qu’on sent la pression autour mais ça reste stimulant. Les gens autour sont au taquet mais moi ça ne me change pas grand chose dans mon quotidien.
E16F : Sur le Télégramme, tu as dit quelque chose d’assez marquant. Tu as déclaré « Qu’importe ce qui se passe autour, c’est moi qui tiens mon sabre. »...
C.B. : C’est ça ! Même au niveau de mon entourage, de mon travail, de mon entrainement, au niveau des cadres de notre staff et au niveau médiatique, tout est différent. Moi c’est vrai que je sens cette effervescence, cette euphorie. Mais après, ça ne change pas grand chose, je reste la personne qui tient son sabre et je dois juste mettre des touches donc il faut y aller avec beaucoup de construction. Je me sers de toute l’énergie des gens autour mais quand le moment est venu de toucher mon adversaire, j’essaie de faire des choses plus simples avec une certaine concentration, une certaine rigueur. Je me sers de leur énergie mais il ne faut pas non plus se brûler les ailes. J’essaie de canaliser tout ça car on a vite fait de s’envoler. C’est pareil pour les Bleus, ils savent ce qu’ils ont à faire même s’ils sentent que le public est à fond. Ils ne sont pas du tout dans un état euphorique et restent très concentrés. Pour moi, c’est exactement pareil. Personnellement, je suis dans l’euphorie de me dire « Allez les gars, on est à fond avec vous ! » mais eux je pense qu’ils ressentent la pression mais ça s’arrête là. Ils ont une mission, se servent de cette énergie mais restent très concentrés.
E16F : Petit pronostic pour l’Euro ?
C.B. : Ah ben victoire des Bleus en finale face à l’Allemagne. Si c’est possible parce que j’ai pas trop regardé les tableaux.
E16F : Et pour finir, un petit pronostic pour les JO en escrime ?
C.B. : (Rires) Ah ben ceux-là je les laisse au staff. Mais en tout cas je sais qu’ils ont annoncé 4-5 médailles dont une en or donc on verra bien. Je sais que quand je vois mes collègues qui remportent des titres à droite, à gauche, on sent que l’équipe de France est vraiment au niveau mais après c’est un sport tellement aléatoire et la roue a tourné vraiment à l’envers en 2012. On reste vigilants même si ça fonctionne très bien aujourd’hui. On est très concentré et les pronostics, on en parlera à la fin, je ne vais pas me mouiller pour mon sport.
Euro-2016-France (et toute son équipe) souhaite bonne chance à l'équipe de France d'escrime pour son aventure brésilienne à venir.