- Coupe du monde 2018
- Julia Chenu
Les réseaux sociaux abondent de moqueries envers les joueurs et leurs contre-performances. Que ce soit des « petites équipes » comme l’Arabie Saoudite, ou des « favoris » comme l’Allemagne, aucune n’est épargnée.
Les journalistes eux-mêmes n’ont pas hésité à interroger lors de conférences de presse ou d’interview de fin de match, les joueurs et les staff concernant le manque d’intensité perceptible sur de nombreuses rencontres. Ils pointent également les joueurs qui ont dû abandonner les perspectives de jouer le Mondial, alors qu’ils étaient en pleine phase de préparation.
Alors, nous aussi, on a cherché à en savoir plus sur ces phénomènes « physiques ». Qui de mieux placé pour apporter des éléments de réponses qu’un préparateur physique ? Rencontre avec Julien Alvarez, préparateur physique et coach sportif, qui nous a livré ses impressions sur les Bleus, le Mondial, et la forme physique de ces sportifs hors du commun.
RDF : Bonjour Julien, aujourd'hui, on fait appel à toi sur ce sujet de la préparation physique, qui alimente pas mal de débats. Pour commencer as-tu vu les matchs de la première phase de poule ? Que penses-tu des débuts de la France ?
Julien Alvarez : J’ai eu la chance de pouvoir regarder presque tous les matchs, je pense en avoir manqué 5 ou 6 uniquement.
Concernant les Bleus, on peut dire qu’avec la victoire d’aujourd’hui (jeudi), c’est un début parfait, aussi bien statistiquement que sportivement. Sur 2 matchs ils ont 2 victoires synonymes de qualification. En revanche sur la forme ou sur le jeu, c’est un autre point de vue.
Après chaque match des Bleus on repart avec des interrogations. Quelle charnière centrale utiliser ? Qui mettre en pointe : Giroud ou un autre ? Ce sont les mêmes questions présentes depuis des années. Quand on pense que c’est réglé, on se rend compte qu’il y a toujours quelque chose qui cloche. Et on recommence.
D’un point de vue physique, c’est difficile à analyser. L’équipe de France a joué contre deux équipes aux styles de jeu assez différents. D’un côté, l’Australie jouait beaucoup derrière alors que de l’autre côté, le Pérou a beaucoup plus attaqué et prenait facilement la possession du ballon. Il y avait donc une gestion et une intensité de match complètement différente, ce qui amène à cette vision où la France a mis plus de rythme contre le Pérou que contre l’Australie. C’est vrai, mais il y avait plus d’espace donc ça a facilité les choses.
Que penses-tu de la préparation physique des joueurs ? Et en particulier de l’équipe de France ?
La préparation physique c’est un sujet très important. S’il n’y avait qu’une vérité on ferait tous la même chose. Actuellement je suis impressionné par l’intensité que peuvent mettre les « soi-disant » nations les plus faibles. Quand je vois le Mexique (que je ne considère pas du tout dans cette catégorie-là d’ailleurs), mais surtout l’Iran et bien d’autres, on peut se dire que ces équipes sont prêtes !
Mais la grande interrogation, c’est « prêtes » pour quand ? Si elles basent leur préparation pour être performantes pour les poules, alors oui elles paraissent au-dessus, alors que les autres nations (Allemagne, Brésil etc…) pensent plutôt à la phase suivante de cette compétition.
Pour l’équipe de France, cela me rappelle une vidéo prise par la Fédération française il y a deux ans en salle de musculation et qui avait été très fortement critiquée dans le monde de la préparation physique. On peut parler d’une vidéo polémique, comme on en voit beaucoup quand on ne connaît ni le contexte, ni le début de la conversation. Pour cette vidéo ça a été le même phénomène. On ne connaissait ni le but, ni l’objectif, et le travail que l’on voyait dessus avait été fortement dénigré, ce qui est complètement ridicule. Et finalement, les détracteurs de la France s’en sont mordus les doigts, les Bleus ayant frôlés le trophée.
Cette année, tout le monde s’accorde, encore une fois selon les vidéos, que la préparation a été bonne. Comme on a coutume de le dire, le travail paie toujours et je reste confiant.
Didier Deschamps a parlé d’une préparation physique intense. Et dans d’autres sélections, des joueurs se sont mêmes blessés pendant les entraînements… On doit comprendre quoi ?
La blessure, c’est un paramètre vraiment compliqué. Certains joueurs ont joué 40 matchs dans leur saison, d’autres plus de 60, tous à des intensités et des paramètres mentaux différents. Dans le football, il faut savoir gérer individuellement chaque joueur tout en gérant également un collectif. Il n’y a pas de recette miracle et on ne sait pas encore tout prévoir, malheureusement !
Et il y a des choses qui ne s’anticipent pas bien entendu. Regardez le cas Rami et Mbappé. Malgré la meilleure préparation du monde, si elle existe, comment voulez-vous anticiper un mauvais geste lors d’un entrainement ? C’est mission impossible et on ne peut être que spectateur…
Par contre, en ce qui concerne les blessures musculaires ou d’autres pépins, oui dans la théorie il faudrait qu’on les anticipe, et qu’on les combatte. Mais dans la pratique ce n’est pas si facile, beaucoup de paramètres rentrent en jeu. Certains sont contrôlables, et d’autres non.
Et que dire des stars qui arrivent blessées, ou en retour de blessure comme Neymar ? Dans quel état mental arrivent ces joueurs qui ont arrêté leur saison prématurément pour se consacrer au Mondial ?
Dans la préparation physique, il existe un dicton, le joueur revient à 100% au double de temps de sa blessure. Absent 1 mois, il faudra donc 2 mois pour revenir au niveau. Cela peut étonner, surtout à ce haut niveau, mais il y a du vrai, et c’est valable pour tous les sports.
Mais comment dire à tout un pays que la star de l’équipe ne jouera pas le Mondial, comme Neymar par exemple ? C’est impossible. Donc les sélectionneurs passent outre, et parfois se tirent des balles dans le pied. C’est pour ça qu’on en arrive à des performances comme on a pu voir sur le premier match de Neymar, où l’aspect mental a pris le dessus. Par sa volonté ferme de montrer qu’il était là, présent, et en forme, ça l’a amené par moment à faire de mauvais choix, voire à jouer tout seul.
Si le joueur passe à côté de sa Coupe du monde on va dire qu’il n’aurait pas dû être là. Mais si le joueur explose tout, marque en finale et délivre son équipe, on criera tous au génie.
Certains parlent aussi de joueurs fatigués par leur saison, avec des matchs de championnats mais aussi la Ligue des Champions, l’Europa League et autres coupes, tu penses que ça peut aussi être une explication ?
Oui, comme je l’expliquais tout à l’heure certains joueurs vont jouer 40 matchs d’autres 60. Les différences sont claires et nettes, tout le monde n’arrive pas forcément aussi « frais » que les autres. Je me souviens d’une étude sur l’année 2014. Il me semble qu’à l’époque, le joueur Oscar qui évoluait à Chelsea avait effectué une saison à 92 matchs. C’est énorme ! Pendant un an il a joué presque tous les 3 jours. Dans ces cas-là, oui je pense que l’organisme a le droit de dire « je suis fatigué ».
On voit aussi une différence entre les sélections ayant choisi de prendre des joueurs évoluant en championnat national et celles dont tout l’effectif joue en Europe. Tu penses que ça peut faire une différence ?
Les championnats européens sont un gage de qualité de jeu et de performance. Ce sont des championnats de référence, donc les sélectionneurs se basent là-dessus.
Mais déjà en 2010, la Nouvelle-Zélande m’avait surpris et je m’étais dit il n’y a plus de petite équipe. Cette Coupe du monde le confirme encore plus. Il y a des surprises chaque jour, et même quand les meilleures nations gagnent ce n’est pas de tout repos. On l’a vu pour l’Angleterre qui gagne dans les dernières minutes face à la Tunisie ; la France qui se défait difficilement de l’Australie, l’Espagne qui gagne contre l’Iran sur le fil…
Enfin, est-ce que les horaires des matchs et la météo peuvent également avoir un impact sur la forme physique et la prestation des joueurs ?
Oui, bien sûr ! Chronobiologiquement le corps fonctionne d’une certaine manière selon des rythmes biologique qu’on appelle « circadiens ». Ils sont individuels, diffèrent selon les personnes mais les variations restent tout de même faibles.
Si on regarde ces rythmes on se rend compte que le corps humain serait plus performant aux alentours de 16-17 heures : meilleure force musculaire, plus haute température corporelle, meilleure coordination. En somme, tout ce qui favorise la performance. Il faut dont aussi anticiper ce facteur. C’est-à-dire que l’on a plus de chance d’être performant si on s’entraine à l’heure à laquelle on jouera le match. C’est donc pour ça que les horaires d’entrainements des sélections peuvent varier d’un match à l’autre.
Du point de vue de la météo, elle aura un rôle aussi sur la performance. Le corps ne réagira pas pareil sur des températures dites normales de 20° face à des températures à 30°, si le temps est humide ou sec. Chaque petit détail compte pour ce genre d’événement. Donc oui, en additionnant le facteur météo au facteur horaire de match, on peut avoir des performances différentes que celles que l’on attendait.
Merci à toi Julien pour ces explications, et on te souhaite une belle fin de Coupe du monde !