- Finale
- Aurelien Renault
Il y a quatre ans, les yeux rivés sur nos écrans de télévision, nous assistions à de courts reportages sur lesquels l’on pouvait apercevoir une foule allemande innombrable rassemblée Porte de Brandebourg à Berlin. Cette dernière célébrait collectivement la victoire au Mondial brésilien de la Mannschaft en jubilant de bonheur. Le visage quelque peu déformé par la déception et l’amertume d’avoir vu les Bleus éliminés par ces mêmes Allemands en quart de finale, nous nous prenions alors à laisser nos esprits s’égarer dans des pensées lointaines : « Si seulement ça pouvait être nous, si seulement c’était l’Arc de Triomphe qui surplombait cette foule immense, unie et heureuse… » Nous ne pouvions pas vraiment nous douter, seulement l’imaginer sans y croire, qu’une telle liesse populaire serait pourtant à portée de bras quatre années plus tard. Et puis mardi, France-Belgique a secoué la boite à souvenirs, laissant s’en échapper des scènes d’un passé qu’on croyait révolu : les artères des villes quelles qu’elles soient ensevelies par les cris et les klaxons, les bars et les cafés secoués par des danses endiablées improvisées et ces Champs-Elysées bleus de personnes folles de joie et joyeuses à la folie. Tout ça pour une sphère en plastique propulsée dans un petit rectangle de pelouse à 2500 kms de là…
Pourquoi tant de joie ? Pourquoi tant de jubilation ? Pourquoi cette clameur collective qui unit aussi bien celui qui va ne connaître que vaguement les noms d’Antoine Griezmann et de Paul Pogba à celui qui, lui, pourrait vous réciter par cœur les statistiques des joueurs de l’équipe de France de ces vingt dernières années ? Difficile de répondre mais en ces jours heureux – et le mot convient bien – penchons-nous un peu sur notre comportement de la semaine pour mieux comprendre ce qui fait du football et de la Coupe du monde un univers à part.
Supporter français et Français
Parmi les individus envahis par la joie et la satisfaction de voir l’équipe de France qualifiée pour la finale et donc toute proche d’aller chercher un deuxième sacre mondial, on retrouve en large minorité dans la partie la plus resserrée de la pyramide la catégorie du supporter. Quand on parle de supporter, on a en tête une personne qui a vraiment le football dans ses gênes, quelqu’un qui en est passionné et qui entretient des liens multiples avec les Bleus. Sa passion décuplée des dernières semaines, il la doit à son approche du jeu. Pour lui, les joueurs sont plus que des joueurs, ce sont les protagonistes de sa série préférée, des personnages qu’il suit depuis toujours en club, qu’il voit grandir, progresser, performer et décrocher au mérite leur place chez les Bleus. Il a une attache et une approche tactique et souhaite par-dessus tout la victoire du jeu. Parce qu’au fil du temps, ce n’est pas de l’équipe de France qu’il souhaite la victoire mais bel et bien des joueurs qui la composent. Et compétiteur qu’il est, comme les footballeurs tricolores, il n’a fait surgir sa joie que cinq minutes passé le coup de sifflet final de France-Belgique avant de se tourner – déjà – vers la finale. Pour lui, il n’y a que le titre qui vaille et l’idée de voir Griezmann and co, ses héros quotidiens, entrer dans la légende. Et puis il y a les autres, ces millions d’autres…
Si vous partez en séjour dans un autre pays, imaginons les Etats-Unis ou le Canada, et que l’on vous demande « Where are you from ? », il est assez peu probable que vous répondiez « I come from Normandy/Bretagne/Ardèche/Rhône-Alpes. » Non. Vous répondrez avant tout que vous venez de France parce que pour la grande majorité d’entre vous, dans votre esprit, votre nationalité et le pays où vous vivez sont relatifs à ce qui constitue les socles principaux définissant qui vous êtes : votre langue, votre civilisation, votre culture. Votre citoyenneté française vous définit sans que vous ne vous en rendiez vraiment compte plus que toute autre appartenance. Vous êtes peut-être picard mais vous êtes avant tout français. Vous habitez Saint-Nazaire mais qu’importe, vous vous présenterez toujours comme bénéficiaire de la culture française plus que de la culture nazairienne. Vous pourrez pester derrière votre écran que c’est faux mais vous savez au fond de vous que c’est vrai. Vous êtes avant tout la France et c’est bien normal. Et en prenant la pyramide dans l’autre sens, l’histoire des conflits du Vieux-Continent et de la création de l’Union Européenne aurait pu vous amener à vous définir de manière prioritaire comme citoyen européen. Le rêve de beaucoup de fondateurs de l’UE mais qui n’aboutit pas. La citoyenneté européenne demeure encore un concept très abstrait dans l’esprit des gens qui s’arrêtent bien souvent à la case nationalité.
Notre pays, notre identité primaire
Mais alors, qu’en est-il de toute cette joie pendant une Coupe du monde ? A une époque pas si lointaine, alors que la Seconde guerre mondiale vivait ses derniers mois, une grande partie du territoire français fut libérée (en août et en septembre 1944). A l’image de l’immense foule qui acclama le général de Gaulle à Paris le 26 août 1944, les explosions de bonheur qui escortèrent la liberté exprimèrent le sentiment d’une unité tout à coup reconstituée autour de la Résistance et de la France libre. Dans un méli-mélo de fêtes et de deuil, la France renoua alors avec les grandes manifestations de communion nationale. A cette époque, l’on pouvait sans détour encore utiliser le terme patriotisme sans avoir le moindre doute au coin de notre esprit sur la valeur de ce mot. On y reviendra plus tard. Le plaisir de voir sa patrie retrouver des couleurs et survivre à cette Europe qu’on pensait vouée à plonger définitivement dans le nazisme déclencha ainsi des vagues de rassemblements spontanées et improvisées. Si l’on se risque à dresser pareil parallèle entre la libération de 1944 et la Coupe du monde, c’est tout simplement parce qu’une telle analogie a déjà été faite il y a vingt ans. Et ce n’est pas un hasard si les scènes de joie qui ont éclaté sur les Champs-Elysées il y a vingt ans après France-Brésil n’avaient plus été vues depuis le retour triomphal du général de Gaulle.
Après tout, c’était quoi le sentiment des Français lors de la libération ? Si l’on en croit les divers témoignages, outre l’évidente éviction de l’occupant allemand, ce qui prédominait dans le cœur des gens, c’est bel et bien la sensation de renaissance et la fierté de voir son pays subsister malgré les remous de la guerre. Dans la psyché humaine des temps modernes, le sentiment d’appartenance à un pays est prépondérant pour le développement personnel. Inconsciemment, on s’identifie à sa nation, l’on est membre d’elle à part entière. Lorsqu’elle est en bonne santé, notre assemblage psychologique nous élève. Lorsqu’elle est attaquée comme ce put être le cas encore très récemment avec les attentats, on en ressent la douleur, la crainte, la vulnérabilité. Tout est question au final d’identification. Votre identification à la France, marquée dans vos habitudes et votre éducation, est certainement plus tenace qu’il n’y paraît au premier abord.
La psychologie de la grandeur collective
Pour en revenir aux liens que l’on a tissé avec la Seconde guerre mondiale, il est admis par beaucoup que « la guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens » (Adrien Schu) et qu’en d’autres termes, la guerre - et par extension la puissance des armées - servait aussi de reflet à la grandeur des nations. Passées les périodes de tumulte sur le Vieux Continent, la guerre comme outil d’étalonnage a alors disparu. Il est certainement risqué de dire que le sport et le football en tête de gondole lui ont succédé mais il est évident qu’une partie au moins s’est retrouvée en possession du relais. Comme l’enfant de bas âge qui a besoin de ses parents comme repères, comme l’adolescent qui se cherche un guide à travers des livres de fiction ou des séries, chaque individu est en quête de figures sur lesquelles s’appuyer et auxquelles s’identifier. La politique qui utilisait la guerre comme une forme de prolongement s’appuie à présent nettement plus sur le sport. « La philosophie qui veut que sport et politique ne se mélangent pas est spécieuse et hypocrite. Les exploits sportifs sont aujourd’hui utilisés comme étalon de la grandeur d’un pays, » a ainsi un jour déclaré Henry Adefope, ministre des Affaires étrangères du Nigéria.
Ça semble simple, ça paraît même peut-être absurde mais il ressort de tout cela que lorsque votre joie vous submerge au moment où Samuel Umtiti ouvre le score contre la Belgique, vous vous sentez plus fort par un déroutant effet domino dans votre for intérieur. La liesse est d’autant plus forte lors d’une Coupe du monde de football que celle-ci est l’événement sportif majeur, celui que la terre entière regarde. Lorsque la France (ou l’Allemagne ou n’importe quelle autre nation du monde) remporte un match important ou un titre, elle le fait sous le regard de la planète entière et s’offre une démonstration de force jubilatoire. Cela fait aussi partie de la psychologie humaine que d’éprouver une forme de plaisir devant une sensation - même très éparse - de supériorité. Et ce quand bien même vous seriez quelqu’un de tout à fait modeste et humble.
Revenons pour finir à notre fameux patriotisme. Dans une époque où l’avenir de l’Europe se veut incertain - n’est-ce pas Nigel Farage ? – les doutes sont légion sur ce qu’il convient de faire et ce qu’il faut absolument éviter lorsque l’on met en avant « l’amour de son pays ». Patriotisme et nationalisme ont bien souvent été confondus au cours des dernières décennies, peut-être à cause de certaines guéguerres politiques, au détriment même de l’attachement qu’ont la majorité des Français envers leur nation et les valeurs qu’elle représente. Dans ce pays après tout, on râle plus facilement pour ce que l’on n’a pas que l’on ne déclame notre amour pour ce que l’on a. Pourquoi ? Les raisons sont certainement multiples et les lister nous ferait vriller en hors-sujet. Il semblerait toutefois que le football ait cette faculté libératrice d’aller chercher en nous la timidité que l’on éprouve d’ordinaire à l'heure de déclamer haut et fort que l’on aime notre pays. Cachée derrière de mystérieuses barrières mentales se terre en nous notre volonté de nous sentir plus grands, de nous sentir unis sous une même bannière et de crier au monde entier notre amour de la France et de ses valeurs sans retenue et sans pudeur. Vous avez vu, rien n’a vraiment changé au fil du temps : la victoire, quelle que soit sa nature, demeure un incroyable vecteur de liberté.