- Quarts de finale
- Enzo Pailot
Six. Les Pays-Bas et l’Argentine s’opposeront ce vendredi soir pour la sixième fois de l’histoire en Coupe du monde. Un affrontement qui a pris racine en 1974, quand les Oranje, alors menés par l’inimitable Johan Cruyff, avaient récité leur si singulier football total (4-0) en phase de poules.
Depuis près d’un demi-siècle, le temps a fait son effet et le rapport de force a été rééquilibré. De Cruyff à Messi, en passant par Maradona ou Bergkamp – qui inscrivit l’un buts les plus légendaires de la Coupe du monde en 1998 face à l’Argentine -, les vedettes bataves et argentines ont défilé. Pourtant, les mentalités, elles, sont restées inchangées.
Au pays de Cruyff, le ballon rond est depuis toujours un composant prépondérant du paysage culturel néerlandais. Sur les terres de Maradona, il est une religion, où la passion dépasse parfois la raison. Ce quart de finale pourrait être dans la lignée de ces divines confrontations.
Pays-Bas, la montée en puissance
Changement de cap dans la philosophie de jeu
Néanmoins, si les deux équipes promettaient resplendissance et spectacle avant le Mondial, le début de compétition a rebattu et forcé Néerlandais comme Argentins à revoir leurs ambitions, du moins en termes de jeu proposé. C’est notamment le cas côté néerlandais, où le totaalvoetbal cruyffiste a laissé place depuis bien longtemps à un football plus moderne, sans pour autant oublier ses origines.
Mais ces Oranje, menés par l’iconique Louis van Gaal, ont bouleversé les habitudes. Fini le dogmatisme batave conduit par le passé si imposant du football total : avec le matériel à sa disposition, "LVG" a bâti une équipe moins emballante, certes, mais pragmatique et efficace.
Des Oranje loin d’être rayonnants
Pour son entrée en lice, face au Sénégal, les Pays-Bas avaient décroché un succès poussif (2-0), où la lumière était venue d’un Cody Gakpo inspiré à la 84e minute seulement, avant que Davy Klaassen n’enfonce le clou au bout du temps additionnel (90+9). Une prestation reconduite quelques jours plus tard où, dominés par des Équatoriens convaincants, les Bataves s’en étaient remis à Cody Gakpo – encore buteur – pour arracher un point du nul (1-1) heureux et masquer une prestation bien terne.
Pour clôturer cette phase de groupes, les Pays-Bas avaient disposé facilement du Qatar (2-0) sans avoir eu le besoin de forcer la décision. Cody Gakpo avait encore fait trembler les filets et remettaient cela en huitième de finale, face aux États-Unis, pour mettre les siens sur de bons rails. Néanmoins, ce match n’est guère une copie conforme de ce que l’on a pu observer depuis l’entame de la compétition.
Face à la Team USA, les Oranje ont évolué. La dépendance à Cody Gakpo a été atténuée par le retour d’un Memphis Depay qui retrouve ses meilleures jambes et la résurrection d’un Denzel Dumfries qui était méconnaissable depuis son arrivée au Qatar. Le piston droit a été l’auteur de deux passes décisives avant de parfaire sa performance XXL avec une réalisation en fin de rencontre.
Depay et Dumfries, facteurs X ?
Dans le 3-4-1-2 utilisé par Louis van Gaal, les pistons détiennent un rôle essentiel dans une animation offensive qui cherche logiquement à passer par les ailes – comme dans bon nombre de systèmes à trois défenseurs. Avec un Daley Blind excellent passeur mais qui n’a pas le profil adéquat pour prendre son couloir, le retour au plus haut niveau de "Denzy" était nécessaire pour franchir un cap. Non seulement il a permis d’être bien plus dangereux offensivement, mais il a ouvert le champ des possibles à Van Gaal.
Le sélectionneur néerlandais, qui prône un jeu de transition rapide à la récupération du ballon, a aussi apprécié le retour d’un Memphis Depay à un tel niveau. Son association avec Cody Gakpo a fait des ravages à quelques reprises, notamment sur le premier but batave, où leurs automatismes ont été palpables. Ce trio, de nouveau au plus haut niveau et suppléé par un excellent Frenkie de Jong, permet de multiplier les armes offensives néerlandaises. Auparavant concentrées sur un Cody Gakpo esseulé, les défenses adverses doivent désormais surveiller une multitude de profils dangereux.
Argentine, retour au plan Messi
L’Albiceleste, invincible et intouchable
Un constat qui n’est guère à l’ordre du jour côté argentin. À l’aube du Mondial qatarien, les observateurs louaient la prouesse de Lionel Scaloni à avoir su se défaire de la Messi-dépendance. Le sélectionneur argentin avait su insuffler un vent de fraîcheur mettant en avant une force offensive collective.
Une attaque toujours emmenée par la Pulga, certes, mais où le danger pouvait également provenir d’Angel Di Maria, Lautaro Martinez ou Giovanni Lo Celso. Le sacre à la Copa America 2021 en était la preuve et avait permis de débloquer psychologiquement ce groupe : Messi avait enfin remporté un trophée avec l’Albiceleste.
Au Qatar, quand la pression rend méconnaissable
Pourtant, l’Argentine semble être rattrapée par ses vieux démons. Ceux d’une sélection largement dépendante des exploits de son petit génie vêtu du numéro 10, mais surtout rongée par la pression d’un tel évènement. "J'ai beaucoup souffert. J'ai parlé avec un psychologue parce qu'ils m'ont tiré dessus deux fois et j'ai concédé deux buts. J'ai 45 millions d'Argentins derrière moi et j'aurais dû donner plus", avouait Emiliano Martinez, le portier argentin, au sortir de la défaite face à l’Arabie saoudite (1-2). Chassez le naturel, il revient au galop.
Le dicton pourrait également s’appliquer dans le jeu, où Leo Messi se retrouve bien seul à l’heure de faire la différence. Giovanni Lo Celso a été privé de Mondial pour cause de blessure, Angel Di Maria et Papu Gomez ne sont pas les plus inspirés au Qatar et sont touchés par des pépins physiques, Lautaro Martinez est éminemment décevant alors que des joueurs comme Rodrigo De Paul ou Julian Alvarez n’ont pas ce profil de dynamiteur.
Leo Messi, seule éclaircie
Malgré la victoire face au Mexique (2-0), à la Pologne (2-0) ou à l’Australie (2-1) – toute sous pression maximale, par ailleurs -, l’Albiceleste n’a pas forcément rassuré sur le fond. Le bilan comptable a beau être parfait sur ces trois derniers matchs, la "Scaloneta", le sobriquet de l'équipe sacrée à la Copa America 2021 et titulaire de cette folle série d’invincibilité de 36 matchs, a perdu de sa superbe depuis le fiasco saoudien.
En réalité, seul le surprenant Alexis Mac Allister a secondé le chef de file argentin. Et encore, c’était uniquement face à la Pologne. En dépit de véritable bras droit, Leo Messi (35 ans) continue de faire cavalier seul, malgré lui, sur le front de l’attaque albiceleste. Son talent permet encore et toujours de faire la différence malgré le poids des années. Et si la spectacularité du jeu argentin en a pris un coup au profit d’une philosophie plus pragmatique depuis quelques semaines, les ambitions de l’Albiceleste, elles, restent les mêmes.
Deux équipes pragmatiques pour un match fermé ?
Car pour le dernier Mondial de sa légende, l’Argentine compte bien amener la Pulga sur le toit du monde avant qu’elle tire sa révérence. Elle n’a plus que trois matchs pour réaliser le rêve de tout un peuple – et même un peu plus -, mais se dresse sur sa route des adversaires qui n’en ont que faire du romantisme autour de Lionel Messi. "Je joue avant tout pour les Néerlandais, non ?", rétorquait un Denzel Dumfries agacé lorsqu’il lui était demandé s’il était conscient qu’éliminer l’Argentine attristerait les fans de la Pulga.
Pays-Bas, des difficultés défensives inquiétantes
Ce vendredi soir, le piston droit batave aura un rôle capital dans l’animation offensive néerlandaise, comme il l’a démontré face aux États-Unis. Mais l’Albiceleste sera un adversaire d’un tout autre calibre que les précédents, et le défenseur de l’Inter Milan aura fort à faire pour contenir les offensives argentines, lui qui a été maintes fois en difficulté dans la profondeur ou au duel depuis l’entame de ce Mondial.
Une problématique qui peut s’étirer à toute l’arrière-garde batave qui, si elle n’a encaissé que deux petits buts, peut remercier Andries Noppert, impérial dans ses cages. Car à l’image de "Denzy", la défense néerlandaise a de profonds problèmes dans la gestion de la profondeur. Elle laisse parfois des intervalles monstrueux où son adversaire peut s’engouffrer. Des soucis visibles face aux États-Unis, dont le manque de réalisme n’a pas puni les Oranje.
Lionel Messi, le profil idéal du bourreau
Heureusement pour Louis van Gaal et les siens, l’Albiceleste mise peu sur la profondeur pour se créer des situations dangereuses. La formation de Lionel Scaloni préfère un jeu de possession, certes parfois trop stérile, mais où Lionel Messi peut amener la lumière à tout instant et accélérer le rythme du match d’un moment à l’autre. Et sa créativité pourrait faire un mal fou à des Oranje pas toujours bien organisés dans l’entrejeu.
Le marquage individuel néerlandais a ses bienfaits, mais les décrochages de la Pulga pourraient tout chambouler. L’impuissance des milieux bataves, quelquefois mal placés et souvent en retard, pourrait ouvrir des brèches irréparables dans l’arrière-garde orange.
Louis van Gaal et Leo Messi, clap de fin légendaire ?
Louis van Gaal aura sans doute des maux de têtes en s’efforçant a trouvé le moyen de museler l’un des plus grands joueurs de l’histoire. L’histoire, le technicien de 71 ans souhaite l’écrire : "En 2014, nous avons terminé troisièmes avec une moins bonne équipe qu’aujourd’hui. Je pense que nous pouvons gagner la Coupe du monde." Des convictions qui ne cessent de croître à mesure que le dénouement approche.
Il faudra d’abord vaincre une Albiceleste animée par la volonté de voir son joyau grimper au sommet de la planète foot. Et comme Lionel Messi, Louis van Gaal vit lui aussi sa dernière Coupe du monde. Laquelle de ces deux dernières danses sera la plus endiablée ? Réponse vendredi soir, au terme d’une confrontation tout aussi indécise que prometteuse.
- Compétition : Coupe du monde 2022
- Phase : Quart de finale
- Match : Pays-Bas - Argentine
- Date : Vendredi 9 décembre 2022
- Heure de début : 22h00 (heure locale) / 20h00 (heure française)
- Lieu : Lusail Stadium, Qatar
- Télévision : beIN Sports 1 / TF1